LETTRES PERSANES ( publié en 1721)

   

Charles de Secondat Baron de  MONTESQUIEU (1689 - 1755)

 

Dialogue entre

un Zoroastrien (Z) fidèle  à la foi aryenne de ses ancêtres

et sa sœur (M) renégate qui a épousé un Musulman 

 

Z : Comment avez-vous perdu la douce liberté dont jouissaient nos ancêtres? Votre mère, qui était si chaste, ne donnait à son mari, pour garant de vertu, que sa vertu même: ils vivaient heureux l'un et l'autre dans une confiance mutuelle; et la simplicité de leurs moeurs était pour eux une richesse plus précieuse mille fois que le faux éclat dont vous semblez jouir dans cette maison somptueuse. En perdant votre religion, vous avez perdu votre liberté, votre bonheur, et cette précieuse égalité qui fait l'honneur de votre sexe. Mais ce qu'il y a de pis encore, c'est que vous êtes, non pas la femme, car vous ne pouvez pas l'être; mais l'esclave d'un esclave, qui a été dégradé de l'humanité.

 

M: Ah! mon frère, dit-elle, respectez mon époux, respectez la religion que j'ai embrassée: selon cette religion, je n'ai pu vous entendre ni vous parler sans crime.

 

Z : Quoi! ma soeur, lui dis-je tout transporté, vous la croyez donc véritable, cette religion?

 

M: Ah! dit-elle, qu'il me serait avantageux qu'elle ne le fût pas! Je fais pour elle un trop grand sacrifice, pour que je puisse ne pas la croire; et si mes doutes...

 

A ces mots elle se tut.

 

Z : Oui, vos doutes, ma soeur, sont bien fondés, quels qu'ils soient. Qu'attendez-vous d'une religion qui vous rend malheureuse dans ce monde-ci, et ne vous laisse point d'espérance pour l'autre? Songez que la nôtre est la plus ancienne qui soit au monde; qu'elle a toujours fleuri dans la Perse; et n'a pas d'autre origine que cet empire, dont les commencements ne sont point connus; que ce n'est que le hasard qui y a introduit le mahométisme; que cette secte y a été établie, non par la voie de la persuasion, mais de la conquête. Si nos princes naturels n'avaient pas été faibles, vous verriez régner encore le culte de ces anciens mages. Transportez-vous dans ces siècles reculés: tout vous parlera du magisme, et rien de la secte mahométane, qui, plusieurs milliers d'années après, n'était pas même pas dans son enfance.

 

M: Mais, dit-elle, quand ma religion serait plus moderne que la vôtre, elle est au moins plus pure, puisqu'elle n'adore que Dieu; au lieu que vous adorez encore le Soleil, les Etoiles, le Feu, et même les Eléments.

 

Z : Je vois ma soeur, que vous avez appris parmi les musulmans à calomnier notre sainte religion. Nous n'adorons ni les Astres ni les Eléments, et nos pères ne les ont jamais adorés: jamais ils ne leur ont élevé des temples, jamais ils ne leur ont offert des sacrifices; ils leur ont seulement rendu un culte religieux, mais inférieur, comme à des ouvrages et des manifestations de la Divinité. Mais, ma soeur, au nom de Dieu qui nous éclaire, recevez ce livre sacré que je vous porte; c'est le livre de notre législateur Zoroastre; lisez-le sans prévention: recevez dans votre coeur les rayons de lumière qui vous éclaireront en le lisant; souvenez-vous de vos pères, qui ont si longtemps honoré le Soleil dans la ville sainte de Balk; et enfin souvenez-vous de moi, qui n'espère de repos, de fortune, de vie, que de votre changement.

 

Je la quittai tout transporté, et la laissai seule décider la plus grande affaire que je pusse avoir de ma vie.

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